Ces gens qui ont peur d’avoir peur
Elaine Aron – 12/09/2022
À n’en pas douter, mon père l’était. Ma mère et ma sœur aussi.
J’ai souvent pensé que les personnes altruistes, capables d’écoute et d’empathie, mais un tantinet irritables ou à fleur de peau, possédaient une certaine « dimension humaine » — qualité rare dans une époque où les valeurs matérielles et individualistes dominent.
En réalité, il ne s’agissait sans doute que d’hypersensibilité, thème de ce livre dont le titre, traduit en français de manière discutable, est « Ces gens qui ont peur d’avoir peur ».
L’autrice, psychologue et psychothérapeute, elle-même très sensible, consacre ses recherches et son expérience à mieux comprendre les ressorts et les conséquences de ce trait de caractère, afin d’apprendre à le vivre pleinement et à en tirer profit — pour soi et pour son environnement.
Une minorité… mais pas si rare
Voilà un livre qui n’intéressera, a priori, qu’un quart d’entre vous.
Environ 20 % des êtres vivants sont hypersensibles. Chez les humains, et contrairement aux idées reçues, 30 % d’entre eux sont extravertis.
La susceptibilité différentielle, mesurée scientifiquement, ne se manifeste pas toujours là où on l’attend.
Il existe même une notion appelée « sensibilité avantageuse », qui désigne les bénéfices possibles de l’hypersensibilité.
Déterminisme ou inné ?
Devient-on hypersensible ? Pas vraiment.
D’après l’état actuel des connaissances, il semble plutôt que l’on naisse hypersensible. Ce trait ne s’acquiert pas : il s’apprivoise.
Indécision, intuition aiguisée, perception accrue, épuisement émotionnel précoce… autant de signes caractéristiques.
Les hypersensibles dépensent davantage d’énergie dans les situations courantes, ce qui les oblige à prévoir des temps de pause (souvent mal compris) pour se ressourcer.
En quelque sorte, ils s’épuisent plus vite et peuvent être moins résilients face au cumul d’activités. Lorsqu’une tâche exige une forte concentration, ils peuvent exceller… mais aussi se montrer plus vulnérables, tant leur investissement est intense.
Bref, leur tendance à être fréquemment surstimulés est un talon d’Achille.
Il existe cependant des stratégies pour en limiter les effets.
Les neurones miroirs et l’empathie
Les recherches ont montré que l’hypersensibilité s’accompagne d’une empathie accrue.
Elle permet une meilleure lecture des intentions et émotions d’autrui.
Cette intensité émotionnelle donne aussi la capacité de tirer des leçons plus profondes des événements vécus.
L’hypersensible savoure plus qu’un autre un dénouement heureux et sait presque intuitivement mettre en place les conditions pour qu’il se reproduise.
S’il s’apprivoise, il peut devenir un leader émotionnel.
Forces et fragilités
Créativité, émerveillement, régulation des émotions fortes…
Mais aussi anxiété et dépression, qui guettent l’hypersensible.
L’acceptation — de soi, des émotions, de l’impermanence — est une clé majeure de résilience.
Il est aussi plus sensible aux saisons, à la lumière, au climat. La luminothérapie peut être un soutien précieux.
Hypersensibilité et sexualité
Chez l’hypersensible, la sexualité est souvent plus intense mais moins fréquente.
La stimulation intellectuelle joue un rôle déclencheur important, amplifiant l’attirance physique.
Chez lui, le corps et l’esprit vont de pair.
Le poids du passé
Les hypersensibles au passé tourmenté maîtrisent moins leurs réactions, au point que cela puisse être considéré comme pathologique.
Ils sont parfois plus lents à prendre des décisions, mais leurs qualités compensent souvent cette prudence.
Lorsque leur système nerveux est saturé, ils ne tolèrent plus rien.
Dans ces moments, ce sont souvent les personnes les moins sensibles qui font preuve de la meilleure compréhension.
À noter : la proportion d’hypersensibles est identique chez les deux sexes… mais ce trait est jugé acceptable chez la femme, et souvent rédhibitoire chez l’homme.
L’hérédité de la sensibilité
Les comportements observables dès les premiers mois de vie, comme la résistance au changement, peuvent signaler une hypersensibilité innée.
En Suède, au Japon ou en Chine, l’hypersensibilité est perçue comme un atout.
Au Canada, elle est plutôt considérée comme un défaut, voire un handicap.
Rôle social et vocation
Les hypersensibles occupent souvent des rôles moins visibles que les dirigeants :
écrivains, philosophes, juges, artistes, chercheurs, thérapeutes, enseignants, citoyens consciencieux…
Ils sont plus chefs moraux ou spirituels que guerriers ou affairistes.
Ils supportent mal les changements brusques et gagnent à analyser leur rapport au changement pour mieux le gérer.
Physiologie particulière
Le caractère inné de l’hypersensibilité se traduit parfois par des troubles du sommeil précoces, une difficulté à s’endormir, et des phases de sommeil profond moins nombreuses.
Sur le plan biologique, on observe souvent une concentration plus élevée de noradrénaline et de cortisol.
Les études distinguent généralement :
- 20 % d’hypersensibles
- 27 % de modérément sensibles
- 8 % de peu sensibles
- 42 % de non-sensibles
Jung et l’approche introspective
Carl Jung, lui-même hypersensible, voyait ce trait comme une richesse.
Un enfant sensible protégé par sa mère n’est pas menacé par la nouveauté et vit plus intensément les expériences de l’enfance.
Les hypersensibles sont aussi d’excellents promoteurs d’une quête de vie intérieure, qui manque cruellement à notre civilisation.
Influencés par leur inconscient, ils peuvent atteindre une clairvoyance presque prophétique.
L’enfance comme révélateur
Replonger dans vos souvenirs d’enfant, analyser vos réactions, la relation avec vos parents — protectrice ou non — peut aider à comprendre votre hypersensibilité actuelle.
Une enfance marquée par l’insécurité demande davantage de patience envers soi-même.
Préserver son équilibre
Chez l’hypersensible, le perfectionnisme peut faire oublier l’essentiel.
Il est nécessaire d’alterner travail, loisirs et repos profond — méditation, contemplation, contact avec la nature.
Apprivoiser l’hyperactivation, sans la rechercher comme une drogue ni l’éviter à tout prix, est un exercice d’équilibre essentiel.
Relations et amour
Les hypersensibles peuvent être très marqués par les ruptures amoureuses.
Ils privilégient souvent les relations profondes, amicales ou familiales, à l’amour instable.
Leur sensibilité peut les rendre plus aptes à percevoir les nuances dans la communication intime, mais aussi plus vulnérables aux conflits.
Pour eux, la clé est de trouver un équilibre entre protection et ouverture, de respecter leurs temps de pause et de choisir des partenaires capables d’offrir un sentiment de sécurité.
Spiritualité et santé
Les hypersensibles sont souvent attirés par les voies spirituelles et les médecines douces.
Ils reconnaissent l’influence de l’état mental sur la santé.
Une promenade, un massage, une séance de méditation ou un moment de tendresse peuvent parfois remplacer avantageusement un médicament.
Conclusion
L’hypersensibilité est un atout lorsqu’elle est apprivoisée.
Elle permet de percevoir ce que d’autres ignorent, de ressentir profondément, d’accompagner et de guider.
La plénitude humaine étant par nature inatteignable, plutôt que d’exister, tentons de vivre pleinement conscient de nos limtes et de notre richesse.
Ce livre est à n’en pas douter, incontournable pour ceux qui souhaitent explorer le sujet de l’hypersensibilité.
Matthias D. – 9 août 2025